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« LES SUITES DE BACH POUR VIOLONCELLE OU L’HERITAGE DE LA VIE »

 

     Depuis mes débuts dans l’enseignement, une question ne m’a plus quitté.
« A partir de quel âge doit-on faire travailler les Suites de BACH à nos élèves ? »
La réponse s’installe au fur et à mesure des années d’expérience.
La première des questions. « Doit-on faire travailler les Suites de BACH ? »
Il reste difficile de répondre. Les uns diront, «  le plus tôt possible » les autres « dès que la technique est au point… » …
La technique : Justesse ? rythme ? technique d’archet ?
Qu’est ce qu’une technique au point ? Qu’est-ce le plus tôt possible ?

 

     Malgré une volonté de méconnaître les difficultés ou un gentil mépris de la progression instrumentale de BACH, les Suites n’ont pas du tout les mêmes problèmes. Peut-on comparer la fluide 1ère Suite, avec les galipettes de la 6e, le labyrinthe alambiqué du prélude de la 4e, avec la douceur de la 2e ? Alors, on pourrait parler d’une approche pédagogique adaptée à un niveau donné . Cela me paraît une bonne réponse.
Mais nous sommes encore assez loin de parler d’interprétation…

 

     Age ? Niveau ? Ca y est, on retombe encore dans les questions ! Mais comment ne pas s’en poser quand on doit gravir l’Everest !
Alors allons-y, montons ! Mais que de matériel pour l’atteindre, que d’heures d’entraînement technique pour y accéder ! Combien d’années de préparation, de conseils, d’essais sur les petits rochers du Mont Bréval ou des Massifs du Mont Romberg ou encore les montagnes Russes des Monts Davidov !
Alors on se dit : « Cet élève semble mûr pour la ballade ». Et on commence un Prélude. Au hasard… celui de la 1ère , en l’honneur de Mercedes ( sans doute une amie espagnole de Casals… et en plus, grand-mère la connaît) niveau de 3e ou 4e année. La justesse et le rythme sont au point ( presque …), l’aventure peut commencer. Tout fier d’avoir été proposé à l’escalade, le dialogue s’impose :
L’élève : « Les doigtés et coups d’archet ? Lesquels ? Quelle édition dois-je acheter ? » 
Moi et (beaucoup d’autres…) : «  Procure-toi un fac simile, soit d’Anna Magdalena, ou bien celui que des élèves de BACH ont recopié (car, comme chacun sait, l’original a disparu) et puis tu mettras tes propres articulations. Voyons, c’est Toi qui va jouer et sur Ton violoncelle ! »

     Et là, commencent les vrais problèmes. Devant l’Himalaya, l’étudiant semble perdu, tant de détails l’affolent, lui qui est habitué aux doigtés « proposés ».
« Ces petits détails techniques » l’amènent à la véritable difficulté, mais aussi à une recherche passionnante. On sait que les articulations et les doigtés peuvent changer totalement le style d’une interprétation. Un passage d’une corde à l’autre donnera une couleur particulière et choisie, qui émane de l’interprète seul, un doigté mal préparé amène une glissade, (qui doit être voulue) ou bien à une rupture du phrasé. Alors à partir de ces niveaux, doit-on imposer « ces petits détails » qui font les grandes rivières et anéantissent le choix de l’élève ? Pour les glissades, je crois que oui, mais seulement pour elles … Mais là encore, je trouve ma position arbitraire.
Une autre solution. On décide de donner ses doigtés et coups d’archet, mûris à l’expérience de la scène. Détails reçus plusieurs années auparavant par les Maîtres de nos études. Bonne ou mauvaise interprétation mais en tout cas, modifiée par l’évolution de notre vie.
« Attention, ce doigté avec ce coup d’archet, cette couleur avec celle-ci, sinon le mélange est mauvais » ! et l’Etudiant exécute… docilement « la vie » du Maître, (comme nous l’avons tous fait) sans qu’il ne vienne à l’esprit du professeur que l’élève aussi, a une vie et qu’il aimerait bien la raconter en toute pudeur, puisque les notes ne véhiculent heureusement que des émotions et pas de signification, sinon que de confidences !
Alors, à quoi sert de faire éditer son interprétation et imprimer sur du papier et dans ces jeunes cerveaux en ébullition, nos idées personnelles. Ou encore, à quoi bon enregistrer trop tôt un testament précoce ?
Oh oui, j’ai imaginé des réponses !
« Il faut bien commencer un jour… c’est en jouant du BACH que l’on apprend, il faut faire la synthèse de toutes les interprétations ... »
Le drame, c’est que nous les envoyons sur scène, ces étudiants, avec nos « petits détails » qui, pas toujours très bien compris, ne ressemblent à rien puisque orphelins d’idées ! Alors, incohérence et incompréhension musicale.
Je propose une réponse qui va sans doute faire éclater les ouïes et faire trembler les mèches. (Je n’ai pas d’actions chez les luthiers, soyez en sûrs …).


     Quand je parle dans mon titre « d’héritage de la vie », je veux dire que personne ne peut prétendre « enseigner » BACH. Casals a-t-il eu besoin de professeur quand il a découvert les Suites dans un petit magasin poussiéreux de Catalogne ? Les Suites ne s’enseignent pas, seule la vie et les richesses qu’on lui apporte, peuvent aider à comprendre cette Musique savante. Ce serait une indécence pour moi, d’imposer mon interprétation ou faire acheter à mes élèves telle ou telle édition, serait-ce même celle des plus grands Maîtres (plus de 50 éditions ...). Personne n’est plus grand Maître que le receveur de sa vie.
Par contre, les règles strictes de l’analyse doivent être étudiées, ainsi que les tonalités, les cadences, les fins de phrases, des notes de passage et leur place, les énigmes d’une appogiature (propulsée dix mesures après), l’agogie ...Quand mes étudiants désirent jouer l’une des Suites, ils doivent s’attendre à ces conseils. J’ai eu avec cette attitude, des expériences remarquables.
Laissons à « l’interprète qui étudie », le choix des respirations et du phrasé, de l’appui de ses notes et l’histoire de sa vie et le public appréciera … Si hélas, il n’est pas touché par le discours, il trouvera bien le moyen de le faire savoir.
Pour ma part, jouer BACH demande la plus grande humilité. Personne ne devrait avoir le droit de dire si une interprétation est bonne ou mauvaise, comme on juge de l’intimité de la vie d’autrui ou bien encore de sanctionner un candidat dans un concours, pour « sa  façon de jouer BACH » comme je l’ai entendu il n’y a pas si longtemps dans un concours International ! Mais pourquoi alors imposer les Suites de BACH dans des épreuves d’examen ?
Wo ist Wahrheit* ? ( Pilate, Passion selon St Jean, de BACH) et je rajoute humblement, en français… : « Qui la détient ? »

 

     Pour ma part, voilà la « recette » que je propose  :
Placer les Six Suites dans un coeur, tourner jusqu’à ébullition, laisser mariner plusieurs années dans la douceur, la recherche, (celle du bon et de beau), dans la connaissance, dans l’amour, dans l’exigence et la fermeté de l’idée et dans l’écoute de l’autre. Goûter  « l’appareil » (lors des concerts) pour savoir si la marinade évolue, et ne servir chaud et en enregistrement qu’à l’aube du grand départ en guise de testament (si les circonstances musculaires et intellectuelles le permettent …) et on attend la suite. La 7e ??? 

 


* Où est la Vérité ?

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